L’OTAN islamique naîtra-t-il du sentiment d’abandon ?

L’OTAN islamique naîtra-t-il du sentiment d’abandon ?

L’heure de vérité… ou le mirage final

Dans les annales de l’histoire, certains moments agissent comme de violents catalyseurs, démolissant d’anciennes structures de confiance et d’alliances, et forçant les nations à affronter des réalités auxquelles elles n’étaient pas préparées. Septembre 2025 pourrait bien être l’un de ces moments pour le monde islamique. Le raid aérien israélien de précision qui a frappé le cœur de Doha, suivi d’un silence assourdissant et déroutant de l’allié américain, n’était pas une simple opération militaire. C’était l’acte de décès d’une doctrine de sécurité vieille d’un demi-siècle, une doctrine sur laquelle les capitales de la région s’étaient reposées sous le parapluie protecteur de Washington. De ce vide stratégique sismique et de ce profond sentiment d’abandon n’a pas seulement jailli la colère, mais a resurgi un vieux rêve qui semblait impossible : l’idée de créer un bloc de défense islamique commun. Aujourd’hui, avec la signature d’un pacte de défense stratégique historique entre la puissance financière et spirituelle de l’Arabie saoudite et la puissance nucléaire du Pakistan, la question n’est plus “est-ce possible ?” mais plutôt “quel en est le coût et quelles en seront les conséquences ?”. Nous assistons à une course effrénée entre la nécessité de l’unité, imposée par des menaces existentielles, et les démons de la division qui ont si longtemps déchiré le corps de cette nation.

Les échos du passé et le cimetière des rêves

Il est impossible de comprendre la dynamique actuelle sans invoquer les fantômes des tentatives ratées qui hantent le cimetière de l’histoire. La route vers un “OTAN islamique” est pavée des débris de projets antérieurs. Dans les années 1950, le “Pacte de Bagdad” s’est effondré sous le poids de la montée du nationalisme arabe nassérien, qui le considérait comme un outil colonial. Au cours des décennies suivantes, l’idée est restée un vœu pieux, s’évaporant face aux intérêts nationaux étroits. Même l’expérience la plus récente et la plus ambitieuse, la “Coalition militaire islamique de lutte contre le terrorisme” annoncée à Riyad en 2015, malgré son large effectif de plus de quarante pays, est restée une entité plus symbolique qu’une force militaire efficace. Comme le soulignent les analyses d’institutions telles que le “Center for Strategic and International Studies (CSIS)”, cette coalition a souffert d’un manque d’objectifs militaires clairs et de l’exclusion de puissances régionales majeures comme l’Iran et l’Irak, ce qui lui a fait perdre une grande partie de son poids et de sa capacité à être un véritable parapluie unificateur. Ces expériences amères posent une question fondamentale : qu’est-ce qui a changé aujourd’hui pour garantir que le même sort ne se répète pas ?

L’étincelle qui a mis le feu aux poudres

La réponse réside dans la nature du choc. Le bombardement israélien de Doha n’était pas une simple attaque ; c’était un message sanglant signifiant que les anciennes règles du jeu n’étaient plus valables. L’attaque a démontré qu’Israël était prêt à frapper des cibles au cœur du Golfe et que les États-Unis, préoccupés par leur confrontation avec la Chine et épuisés par les guerres au Moyen-Orient, n’étaient plus disposés à jouer le rôle de “gendarme de la région”. Ce changement de doctrine américaine, évoqué depuis des années dans les rapports de la “RAND Corporation” sous le nom de “repositionnement stratégique”, est désormais une réalité douloureuse. Ce vide a créé une formidable poussée vers l’intérieur, les grandes capitales, Riyad en tête, réalisant que leur sécurité nationale et leurs visions économiques ambitieuses, telles que “Vision 2030”, ne pouvaient plus rester otages d’une décision prise à Washington. L’autodéfense est passée d’une option stratégique à une condition existentielle, et cette nécessité est le moteur le plus puissant qui pourrait assurer le succès d’un projet attendu depuis longtemps.

La construction du noyau dur : l’axe Riyad-Islamabad

Au milieu des appels rhétoriques, le pas le plus concret et le plus percutant a été franchi : le pacte de défense stratégique commune entre l’Arabie saoudite et le Pakistan. Cet accord n’est pas une alliance traditionnelle, mais une fusion symbolique et pratique des composantes les plus importantes de la puissance dans le monde islamique. Le Royaume apporte son poids financier colossal, son statut de leader du monde musulman sunnite et ses forces armées modernes. En retour, le Pakistan, seul pays musulman doté de l’arme nucléaire, offre une armée vaste, hautement qualifiée et expérimentée au combat, ainsi qu’une profondeur stratégique inestimable. Comme l’ont noté les analystes de “Foreign Policy”, cet axe ne vise pas seulement à dissuader Israël et l’Iran, mais envoie un message clair au monde qu’une nouvelle puissance est en train de se former, une puissance qui possède la volonté politique, les ressources financières et la capacité militaire ultime (nucléaire) pour défendre ses intérêts. C’est l’annonce officielle du passage de l’ère de l’achat de la sécurité à celle de la production de la sécurité.

La symphonie des ambitions concurrentes

Derrière ce consensus apparent, chaque puissance régionale joue sa propre mélodie selon ses intérêts. La Turquie, sous la direction de Recep Tayyip Erdoğan, voit dans cette alliance une opportunité de réaliser ses ambitions “néo-ottomanes”, en s’appuyant sur son industrie militaire croissante, notamment dans le domaine des drones, et son expérience en tant que membre de l’OTAN. Mais son ambition de leadership se heurtera inévitablement au rôle central que l’Arabie saoudite s’attribue. À Téhéran, l’offre iranienne de se joindre représente un dilemme majeur : est-ce une manœuvre tactique pour contenir et diriger l’alliance de l’intérieur, ou une reconnaissance réaliste que la confrontation avec Israël nécessite une unité islamique plus large, au-delà des divisions sectaires ? Quant à l’Égypte, forte de la plus grande armée arabe, elle observe avec méfiance toute coalition dont Le Caire ne serait pas le centre, préférant le cadre de la “Ligue arabe” où son rôle historique de leader est garanti. Ces agendas contradictoires sont le carburant qui pourrait attiser les feux de la discorde au sein de toute structure de défense commune.

Le labyrinthe logistique et l’enfer des détails

Si la politique est le cerveau de toute alliance, la logistique en est le sang qui coule dans ses veines. C’est là que réside le deuxième obstacle majeur. Les armées du monde islamique sont une exposition d’armements mondiaux : des chasseurs F-15 américains en Arabie saoudite aux Rafale français en Égypte et au Qatar, en passant par de potentiels chasseurs russes en Iran et des armements chinois et turcs au Pakistan. Unifier ces systèmes disparates au sein d’une structure de commandement et de contrôle unique est un défi technique colossal qui nécessite des années d’entraînement et des milliards de dollars. Qui définira la doctrine de combat unifiée ? Dans quelle langue les ordres seront-ils donnés ? Et comment la charge financière massive pour opérer une telle force sera-t-elle partagée ? L’incapacité à répondre à ces questions “ennuyeuses” et détaillées est ce qui a noyé les initiatives précédentes dans un océan de bonnes intentions, et pourrait bien noyer celle-ci également.

Une naissance douloureuse ou un rêve reporté ?

Le Moyen-Orient et le monde islamique sont au seuil d’une transformation qui pourrait être la plus spectaculaire depuis des décennies. L’idée d’un “OTAN islamique” n’est plus une théorie dans les manuels de stratégie, mais une possibilité réaliste imposée par les impératifs de survie dans un monde instable et impitoyable. L’axe Riyad-Islamabad a posé la première pierre, mais l’édifice reste fragile et exposé aux tempêtes des divisions internes et aux pressions externes. Le succès de ce projet historique ne sera pas mesuré par le nombre de sommets ou de déclarations, mais par la capacité à prendre des décisions difficiles, à faire des concessions douloureuses et, surtout, à construire une confiance réelle entre des capitales qui ont passé des décennies à se concurrencer et à comploter les unes contre les autres. Les mois et les années à venir révéleront si nous assistons réellement à la naissance d’un nouveau titan géopolitique, ou à un autre chapitre d’un rêve reporté, dont l’échec, cette fois, pourrait conduire à un chaos plus grand que jamais.


Sources proposées (traduites) :

  • Council on Foreign Relations (CFR). (2025). “La fin du parapluie américain : la sécurité du Golfe après la frappe de Doha.”
  • International Institute for Strategic Studies (IISS). “L’Équilibre Militaire 2025.”
  • Al Jazeera Centre for Studies. (2025). “Le pacte saoudo-pakistanais : un nouveau noyau stratégique au Moyen-Orient.”
  • Foreign Policy Magazine. (2025, Septembre). “Pourquoi un ‘OTAN islamique’ n’est plus une fantaisie.”
  • RAND Corporation. “Réimaginer la stratégie américaine au Moyen-Orient : une approche plus durable.”
  • Center for Strategic and International Studies (CSIS). (2018). “La Coalition militaire islamique de lutte contre le terrorisme : une alliance symbolique ?”
  • Dépêches et analyses d’agences de presse internationales (Reuters, Bloomberg, Associated Press) de septembre 2025.

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